des mots pour le dire

Publié le par gaëlle Brunetaud

C’est si facile, d’ordinaire, de parler des enfants. D’ailleurs c’est le sujet « personnel » préféré à la machine à café. La politique, les salaires, le boulot, tout cela peut séparer. Les enfants rassemblent. Enfin.. en général.
Pendant 4 ans à attendre l’enfant qui ne paraissait pas, j’avais bien du mal à donner une réponse juste avec un visage serein, quand on me lançait : « alors, tu ne veux pas d’enfants, qu’est ce que tu attends, tu vas t’y mettre bientôt ? ». Me mettre à quoi ? A les fabriquer, me répondait on. Mais voilà, moi je ne les fabriquais pas, ou bien je ne savais pas comment ça se fabriquait, un enfant. D’ailleurs je n’arrivais pas à croire que ça pouvait se « fabriquer ». Pour moi, un bébé, on l’accueillait comme un miracle, comme un merveilleux cadeau de la vie.

J’avais peut être une mauvaise recette, un mauvais moule, de mauvais ingrédients. J’avais peut être trop de désir, pas assez de patience, trop de volonté, pas assez de lâcher prise… je n’avais peut être pas de chance, pas un mari fait pour ça, enfin, je ne sais pas. Mais moi, je ne les fabriquais pas. Faire un enfant … ce qui semblait si facile à la plupart m’était impossible.
Alors, selon l’interlocuteur, je disais que mon mari allait traverser l’atlantique à la voile et qu’on verrait après. Ou bien je disais que les enfants, ça ne venait pas toujours dès qu’on en avait envie. Mais plusieurs fois, on m’a répondu que si. Certaines personnes ont de telles certitudes…
Comment leur dire, que non, ce n’était pas l’égoïsme qui m’empêchait d’avoir un enfant. D’ailleurs, quand j’étais petite, je voulais adopter tous les orphelins de la terre, je voulais des enfants de toutes les couleurs, ma tribu imaginaire était aussi nombreuse que les étoiles dans le ciel ! Non, ce n’était pas l’égoïsme et déjà, je devais faire avec cette absence de réponse. Non, je n’avais pas d’enfants, je ne savais pas pourquoi, et je ne savais pas comment faire pour y remédier vraiment.

Et après Marie-Kerguelen, que dire ?
Au début, à la question « avez-vous des enfants » je répondais « oui, mais pas sur la terre ». Mon interlocuteur se demandait ce que je voulais dire, s’il avait manqué un mot, ou si j’étais de ce genre d’extralucide hallucinée qui croit parler avec les esprits.
Après j’ai dit « non, pas à la manière dont vous l’entendez » ou bien : « oui, mais ils sont morts ». A cette réponse, mon interlocuteur se transformait en statue de sel, se figeait soudain sur place, ses yeux tournaient sur leurs orbites, cherchant vainement ce que je pouvais bien vouloir dire par là. Pourtant c’était clair, mais on aurait dit qu’il était incapable de se figurer la mort d’un bébé. Brusque retournement de la pensée humaine, quand on songe que les mères de nos mères savaient à quel point la mort infantile était fréquente, et la mort néonatale encore plus. Notre génération croit elle que la mort n’existe plus ? Peut être, d’une certaine manière, et nous pourrons en reparler … si vous voulez dire ce que vous en pensez !.

Et puis, enfin, quoi, répondre à la question "avez vous des enfants?" : « non » ?
Oui, parfois, je m’y prends, à répondre non.
Parfois je dis que j’en ai porté 4, et qu’ils n’ont pas pu rester. On m’a déjà rétorqué que je ferais bien de ne plus jamais essayer pour ne pas souffrir encore. Encore une proposition à ranger dans l’immense placard des phrases négatives et vaines...

J’ai du mal à répondre non. Parce que perdre un bébé, c'est possible, ça existe, c’est une réalité, et je voudrais qu’on cesse de le cacher. Je voudrais dire : Non, le deuil périnatal n’est pas une maladie contagieuse. En parler ne va pas faire mourir l’enfant que vous portez. En parler ne va pas faire disparaître l’enfant qui vient de naître. Alors pourquoi faudrait-il le cacher, n’en parler jamais, croire que ça n’arrive pas ? Nos échanges semblent dire que ce n’est pas si rare, de  perdre un enfant.
Alors j’aimerais savoir ce que vous, à cette question vous répondez ?

Publié dans expérience vécue

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G
Oui ce doit être dur et tout particulier, d'en avoir un et d'en avoir perdu deux ... Comment avez vous annoncé la naissance de Charlotte ?à bientôt Elisabethgaëlle
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E
Bonjour Gaëlle,Moi je n'ai pas résolu ce problème. Enceinte de triplées, j'ai perdu l'an dernier Raphaëlle in utéro à 22SA, comme ta petite fille, et Marie à la naissance à 26+5, toutes les deux victimes du "syndrôme transfuseur-transfusé" qui peut affecter les vrais jumeaux. Heureusement, ma petite Charlotte s'est battue comme une lionne contre la grande prématurité et elle fait à présent notre bonheur. Mais quand je me promène avec elle, j'aimerais parfois dire aux gens: en fait je suis la maman de trois petites puces, mais la vie a fait que j'en ai une contre moi et deux dans mon coeur. C'est tellement dur. En même temps il faut que je me consacre entièrement à Charlotte!
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M
Comme toute personne qui a perdu un enfant, je reste nuancée face à l'interlocuteur qui me demande combien j'ai d'enfants.1 ou 2 cela dépend de qui me demande.Mais il n'est pas rare que lorsque je dise "2" puis que j'explique le décès périnatal de ma fille, on me rétorque alors "j'ai aussi fait une fausse couche à 2 mois il y a x années". J'ai quelques envies de meurtres alors et je finis par tourner les talons en fin de compte. Inutile de s'étendre avec des personnes douées d'autant d'empathie ;-) Je ne me sens pas à la hauteur.Bref, ma fille reste à un endroit où personne ne peut l'atteindre : dans mon coeur
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G
Oui, il faut trouver moyen de dire pour se faire respecter, sans que la réponse de l'autre (alors que nous n'en attendons pas) ne puisse nous affecter négativement ! comme tu le dis, "il existe un espace que rien ne menace, que rien n'a jamais menacé et qui n'encourt aucun risque de destruction, un espace intact, celui de l'amour qui a fondé notre être". C'est Christiane Singer qui a écrit cela. Et c est dans cet espace là que "sont" nos enfants.Belle journée Marie
G
Merci pour ta confiance Johanna,j'ai connu cette envie là : rejoindre mes enfants. Puis mon optimisme et ma vitalité ont repris le dessus...  heureusement !j'ai moi aussi vécu la séparation avec le papa de Marie-Kerguelen. Ce n'est pas rare. Tant de choses peuvent séparer ...Je te souhaite un bon chemin dans ton travail d'écriture, si, quand tu auras fini, tu as besoin de conseil, eh bien je ne serai pas loin.. tout dépendra de ce que tu veux faire de ton texte, et de l'échos qu'il peut susciter. Et puis moi aussi, dans cette aventure, j'en suis aux commencements !Je suis aussi sensible à cette difficulté génétique. Nous avions, dans notre couple, une difficulté génétique supplémentaire. Marie-Kerguelen semble en avoir été épargnée, l'épreuve en a été d'autant plus difficile : ce bébé là semblait "normal", et pourtant, elle nous avait été enlevée... On maitrise si peu ... alors, oui, garde espoir ! Parce quand du côté du meilleur également, on ne sait rien !à bientôt Johanna
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J
mes quatre petits anges ont pour prénoms :Manon partie à 16 sa en novembre 2002Ange parti à 12 sa, nous ne savons pas sont sexe d'où le prénom Ange en mai 2003Adrien né à 7 mois en juin 2005 et décédé deux jours après sa naissance.Ptit kunkun que j'ai perdu à 1 mois de grossesse en juin 2006.je suis porteuse saine d'une maladie génétique rare qui est le syndrome de BEckwith Wiedemann. nous savons que manon et adrien ont malheureuse ment hérité de ce mauvais gêne qui a provoqué chez eux la maladie. cette maladie qui les a tués. pour Ange et Ptit kunkun nous avons pas eu le temps de faire les examens nécessaires.je vis très mal leurs absences. après l'envol de mes deux premiers bébés, je ne voulais qu'une chose les rejoindre. après avoir perdu Adrien, j'ai failli mourir d'une crise d'éclampsie. alors maintenant j'essaye de relativiser les choses. oui mes enfants me manquent, mais je les sens tous le sjours présents dans mon coeur, dans ma vie. ils m'aident à avancer. à être toujours de bonne humeur. je veux que là où ils sont ils voient une maman joyeuse qui profite de la vie. je me suis séparée du papa de mes quatre bébés. chacun essaye de refair sa vie chacun de son côté. à 25 ans c'est pas toujours facile. mais y a til un âge pour accepter la mort de son enfant ? j'écris moi aussi un livre depuis plusieurs mois sur mes enfants, sur le syndrome, sur l'incompréhension des gens dans le deuil périnatal. ce n'est pas facile. c'est un exercice très douloureux mais cela me fait du bien. je rêve toujours de maternité, mais mes chances d'être un jour maman sont très faibles. mais je veux garder espoir...johanna
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