des mots pour le dire
C’est si facile, d’ordinaire, de parler des enfants. D’ailleurs c’est le sujet « personnel » préféré à la machine à café. La politique, les salaires, le boulot, tout cela peut séparer. Les enfants rassemblent. Enfin.. en général.
Pendant 4 ans à attendre l’enfant qui ne paraissait pas, j’avais bien du mal à donner une réponse juste avec un visage serein, quand on me lançait : « alors, tu ne veux pas d’enfants, qu’est ce que tu attends, tu vas t’y mettre bientôt ? ». Me mettre à quoi ? A les fabriquer, me répondait on. Mais voilà, moi je ne les fabriquais pas, ou bien je ne savais pas comment ça se fabriquait, un enfant. D’ailleurs je n’arrivais pas à croire que ça pouvait se « fabriquer ». Pour moi, un bébé, on l’accueillait comme un miracle, comme un merveilleux cadeau de la vie.
J’avais peut être une mauvaise recette, un mauvais moule, de mauvais ingrédients. J’avais peut être trop de désir, pas assez de patience, trop de volonté, pas assez de lâcher prise… je n’avais peut être pas de chance, pas un mari fait pour ça, enfin, je ne sais pas. Mais moi, je ne les fabriquais pas. Faire un enfant … ce qui semblait si facile à la plupart m’était impossible.
Alors, selon l’interlocuteur, je disais que mon mari allait traverser l’atlantique à la voile et qu’on verrait après. Ou bien je disais que les enfants, ça ne venait pas toujours dès qu’on en avait envie. Mais plusieurs fois, on m’a répondu que si. Certaines personnes ont de telles certitudes…
Comment leur dire, que non, ce n’était pas l’égoïsme qui m’empêchait d’avoir un enfant. D’ailleurs, quand j’étais petite, je voulais adopter tous les orphelins de la terre, je voulais des enfants de toutes les couleurs, ma tribu imaginaire était aussi nombreuse que les étoiles dans le ciel ! Non, ce n’était pas l’égoïsme et déjà, je devais faire avec cette absence de réponse. Non, je n’avais pas d’enfants, je ne savais pas pourquoi, et je ne savais pas comment faire pour y remédier vraiment.
Et après Marie-Kerguelen, que dire ?
Au début, à la question « avez-vous des enfants » je répondais « oui, mais pas sur la terre ». Mon interlocuteur se demandait ce que je voulais dire, s’il avait manqué un mot, ou si j’étais de ce genre d’extralucide hallucinée qui croit parler avec les esprits.
Après j’ai dit « non, pas à la manière dont vous l’entendez » ou bien : « oui, mais ils sont morts ». A cette réponse, mon interlocuteur se transformait en statue de sel, se figeait soudain sur place, ses yeux tournaient sur leurs orbites, cherchant vainement ce que je pouvais bien vouloir dire par là. Pourtant c’était clair, mais on aurait dit qu’il était incapable de se figurer la mort d’un bébé. Brusque retournement de la pensée humaine, quand on songe que les mères de nos mères savaient à quel point la mort infantile était fréquente, et la mort néonatale encore plus. Notre génération croit elle que la mort n’existe plus ? Peut être, d’une certaine manière, et nous pourrons en reparler … si vous voulez dire ce que vous en pensez !.
Et puis, enfin, quoi, répondre à la question "avez vous des enfants?" : « non » ?
Oui, parfois, je m’y prends, à répondre non.
Parfois je dis que j’en ai porté 4, et qu’ils n’ont pas pu rester. On m’a déjà rétorqué que je ferais bien de ne plus jamais essayer pour ne pas souffrir encore. Encore une proposition à ranger dans l’immense placard des phrases négatives et vaines...
J’ai du mal à répondre non. Parce que perdre un bébé, c'est possible, ça existe, c’est une réalité, et je voudrais qu’on cesse de le cacher. Je voudrais dire : Non, le deuil périnatal n’est pas une maladie contagieuse. En parler ne va pas faire mourir l’enfant que vous portez. En parler ne va pas faire disparaître l’enfant qui vient de naître. Alors pourquoi faudrait-il le cacher, n’en parler jamais, croire que ça n’arrive pas ? Nos échanges semblent dire que ce n’est pas si rare, de perdre un enfant.
Alors j’aimerais savoir ce que vous, à cette question vous répondez ?