la fée, l'ange et la culpabilité
Quand l'enfant ne paraît pas ou qu'il disparait trop tôt, un sentiment de culpabilité vient parfois alourdir la douleur de la perte.
Qu’est ce que j’ai fait ? Quelle action, quelle pensée ont causé la perte, l’attente, le vide ? Qu’ai-je fait au bon dieu, à la nature, à la vie ? Aurais-je du me reposer davantage, ne pas faire cette balade, cette sortie ? Aurais-je du être plus proche de mon bébé, le veiller davantage ?
Et nous voilà l’estomac noué, le cœur retourné, à maudire ou à souffrir encore plus.
La culpabilité ne mène nulle part, mais s’en convaincre ne suffit pas à s’en libérer. Elle vient souvent avec la question du pourquoi : "pourquoi moi, pourquoi nous, pourquoi mon enfant ?" Quand j’ai perdu Marie-Kerguelen, des personnes bien intentionnées ont voulu répondre à ma place à ces interrogations. J’étais fragilisée et, à l’époque, leurs réponses m’ont blessée : "nous n’étions pas prêt, je ne devais pas avoir d’enfants avec ce mari là, que pourtant j’aimais tant !" De quel droit osaient-elles donner des réponses à des questions que je ne leur avais même pas posées ? Certains ont des réponses à ces questions. Tant mieux pour eux si ça les console ou si ça les rend forts. Moi, je n’en ai trouvé aucune qui me convienne. Marie-Kerguelen, par son passage éclair, m’avait légué deux ou trois secrets qui m’accompagneraient désormais.
Peut-être parce que l’être humain croit trop fermement à la logique de cause à effet. Pour répondre à la question du « pourquoi n’ai-je pas pu garder mon bébé » ou à celle du « pourquoi mon enfant est-il malade, handicapé », il me semble qu’il faudrait savoir pourquoi on est né ici, en France, dans cette famille là, et pas au Mali, en Corée du Nord ou en Norvège. Il faudrait savoir pourquoi notre voisin s’est fait renverser par une voiture alors qu’il respectait les règles de la circulation, et pourquoi un autre a un cancer alors qu’il menait une vie saine.
Une amie m’avait dit « tu as de la chance, on n’a pas tous un ange qui veille sur nous ». J’aurais volontiers échangé mon bébé mort contre son enfant vivant… Je n’attends pas de Marie-Kerguelen qu’elle veille sur nous, et je ne crois pas non plus en un Dieu sadique qui aurait besoin de faire souffrir des familles pour fabriquer des anges pour remplir son ciel. Je crois encore moins avoir été choisie pour donner au monde des êtres purs, vierges et angéliques. J’ai entendu cela une fois. Pour moi, c’était aberrant. Avoir perdu un bébé ne fait de moi ni une sainte ni un martyre. Je ne connais rien aux anges, mais j’ai l’intime conviction que s’ils existent, ils n’ont pas besoin de passer par l’incarnation, puisqu’on les dit désincarnés. Du coup, je suis moyennement à l’aise avec le mot ange, même si je l’ai moi-même utilisé.
A l’ange, j’ai préféré la fée. Ce terme n’est pas parfait non plus, il a aussi sa part de mythe, il est aussi galvaudé. Mais il correspondait si bien à ce que je ressentais que, trois mois après le départ de Marie-Kerguelen, j’en ai fait une broderie en hommage à son passage. Comme pour Caroline (http://mafilleunefee.over-blog.com/), ma fille était mon enfant, mais elle était aussi ma fée. Parce que, si je ne trouvais aucune cause à son départ, je commençais à entrevoir des conséquences, des fruits, et je commençais aussi à retrouver le désir d’être en vie.
Son départ, comme un caillou lancé dans une marre, projetait ses échos tout autour de moi.
Je l’avais portée, mais elle m’avait portée aussi, comme l’a écrit Natte hier en commentaire. Elle m’avait porté vers un monde plus ouvert et plus grand.
Je ne crois pas non plus que ce soit l’apanage des enfants morts, que de nous faire sortir de nos mondes un peu étroits. Les enfants vivants, également font grandir leurs parents ; comme la plupart des expériences de la vie font mûrir les gens, même à leurs dépens.